CULTURE – Peu de manifestations culturelles rencontrent un aussi grand succès que les Journées du Patrimoine. Ce week-end, nos concitoyens seront sans doute plus de 12 millions à se rendre dans l’un des 17 000 lieux ouverts au public. Un Français sur cinq se pressera pour découvrir, qui un palais de la République, qui un monument historique ou un jardin remarquable, qui encore ces maisons particulières ou ces bâtiments du quotidien, ouverts aux visiteurs pour l’occasion.
Les Français sont profondément attachés à leur patrimoine, qui est fait d’autant de « lieux de mémoire » si chers à l’historien Pierre Nora, et dans lesquels ils viennent puiser les traces d’un héritage et d’un destin commun. Dans le patrimoine s’exprime une part de la Nation.
Si nous avons la chance d’avoir tant de sites et de monuments protégés et mis en valeur, c’est d’abord parce que des femmes et des hommes, dans tout le pays, veillent, au quotidien, sur notre patrimoine.
Mais c’est aussi parce que d’autres se sont fait le métier et la spécialité de le restaurer. Compagnons, maîtres d’art, tailleurs de pierre, ferronniers ou encore maîtres-verriers : leur savoir-faire est unique au monde, et unanimement reconnu.
L’engagement de toutes ces femmes, de tous ces hommes, est inestimable.
Je pense qu’il n’est pas exagéré de dire qu’en Europe, la France est le pays du patrimoine, non parce qu’elle a plus de traces et de vestiges du passé que les autres, mais parce qu’elle entretient avec lui une relation affective et familiale et qu’elle veille à le transmettre aux générations à venir, en combattant pas à pas les ravages du temps. Pour que cette relation soit encore plus étroite, plus personnelle, j’ai voulu que chacun puisse s’y retrouver, en rendant sa protection plus claire et plus lisible : il y aura désormais des « cités historiques » comme il y a des « monuments historiques », avec le même degré d’exigence en matière de protection, les mêmes garde-fous, et une véritable force évocatrice pour les esprits. C’est ce que prévoit la loi que je présenterai au Parlement dans quelques jours. Après les conquêtes fondatrices d’André Malraux et de Jack Lang, c’est une nouvelle pierre apportée à l’édifice.
Mais déplaçons notre regard un instant, et interrogeons-nous sur la « fabrique » du patrimoine. Au-delà de la restauration, au-delà de l’attachement qu’on lui porte et de la protection qu’on lui doit, qu’est-ce qui fait qu’un édifice devient patrimonial ? Est-ce le temps ? Mais alors, quel âge faut-il pour être « patrimonial »?
La question est moins simple qu’il n’y paraît. Elle n’est pas nouvelle, d’ailleurs : Malraux se l’est posée avant nous, lorsqu’il a choisi de distinguer l’œuvre de Le Corbusier – dont nous célébrons cette année le cinquantenaire de la mort – avant même la disparition de l’architecte. On pourrait d’ailleurs ajouter, un peu malicieusement j’en conviens, que le patrimoine n’hiberne pas. Il n’est pas gelé, glacé dans le temps. Il est souvent transformé, adapté, modifié, réaménagé, et la signification qu’on lui prête est toujours sujette à évolution. Il y a peu de temps, pour donner un exemple, les élèves restaurateurs de l’Institut national du patrimoine se sont installés dans un nouveau bâtiment. Cinquante ans plus tôt, il abritait une usine : la Manufacture des Allumettes d’Aubervilliers. Il y a vingt ans, il abritait des réserves de la Documentation française. Aujourd’hui, c’est un lieu d’apprentissage et de transmission. Vous pourrez d’ailleurs le découvrir ce week-end.
Le patrimoine est héritage, cela va sans dire. Mais l’héritage peut aussi être regardé avec l’œil de l’avenir : il s’agit alors de nous interroger sur ce que nous voulons transmettre à nos enfants et petits-enfants. C’est précisément l’invitation qui vous est faite pour cette édition des Journées du Patrimoine. En découvrant les édifices et les jardins construits depuis quinze ans, que nous devons à la créativité et au talent des architectes, au savoir-faire des entrepreneurs et aux ambitions des maîtres d’ouvrage, nous découvrons aussi le patrimoine de demain.
Il sera sans aucun doute le reflet de nos préoccupations d’aujourd’hui, qui sont résolument des préoccupations pour l’avenir : l’efficacité énergétique, le souci d’une construction durable, qui sont de nouveaux terrains de jeux pour l’audace et l’esthétique, pour les grands monuments comme pour des bâtiments moins connus. Car l’architecture du quotidien a aussi toute son importance, nos lieux de vie tout autant que nos lieux de visite.
Nous avons la chance d’avoir un patrimoine riche, d’une rare diversité, comme nous avons la chance d’avoir aujourd’hui une création architecturale d’une grande vitalité, qu’il faut soutenir, et encourager. Pour que le patrimoine que nous lèguerons demain à nos enfants continue d’être inventif et audacieux, j’ai voulu dans ma loi à la fois distinguer les créations les plus récentes, en donnant plus de poids au label « Patrimoine du XXe siècle » – qui deviendra « Patrimoine de moins de cent ans » – et renforcer les possibilités d’expérimentation des architectes qui construiront des bâtiments publics, comme me l’ont proposé les députés. Ces préoccupations, et d’autres, qui ont pour objectif de libérer les forces créatrices de notre pays, sont au cœur du projet de loi « liberté de création, architecture et patrimoine » que je défends, pour nous assurer que la culture prenne toute sa place dans le monde qui vient. Entre le patrimoine et la création il y a un continuum. L’avenir ne s’oppose pas au passé ; il ne se contente pas de le ressusciter ; il le réinvente.
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